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À Little Rock, lorsqu’ils comprirent que les efforts de la police ne donnaient aucun résultat, six des sept terreurs, Fred Mercer étant parti visiter sa grand-mère en Gaspésie, décidèrent de s’en mêler. Ils s’introduisirent sans aucune difficulté dans la maison des Wilder. Quelques jours plus tôt, Frank avait découvert un curieux message électronique chez leur professeur. Ils se réunirent tous devant l’ordinateur. Frank accéda au courrier de Terra.
JE NE SAIS PAS SI VOUS FAITES TOUJOURS LE GUET DEVANT L’ÉCRAN DE MONSEIGNEUR, AMI DE LA TABLE RONDE, MAIS SACHEZ QU’IL A ÉTÉ TRANSFÉRÉ DANS UNE AILE ÉLOIGNÉE DU CHÂTEAU DU SORCIER ET QU’IL N’EST PLUS SOUMIS À LA TORTURE. LE MAGICIEN M’A ASSURÉ QU’IL SERAIT BIEN TRAITÉ, À MOINS QU’IL REFUSE DE COLLABORER AVEC LE DRAGON. J’ESSAIE EN CE MOMENT DE TROUVER LE LIEU EXACT DE SA PRISON. JE VOUS TRANSMETTRAI CETTE INFORMATION DÈS QU’ELLE SERA DISPONIBLE. VOTRE HUMBLE SERVITEUR, GALAHAD.
— Qui est ce Galahad ? s’étonna Karen.
— Et pourquoi écrit-il aussi bizarrement ? renchérit Katy.
— Galahad était l’un des chevaliers de la Table Ronde, expliqua Chance. Le fils de Lancelot, je pense.
— C’est peut-être un code pour confondre leurs ennemis, suggéra Marco.
— Ce qui veut dire que monsieur Wilder est vraiment en danger ! s’alarma Karen.
— Peux-tu répondre à ce Galahad ? demanda Julie à Frank.
— Certainement, acquiesça-t-il avec un sourire espiègle.
CHEVALIER GALAHAD, NOUS SERVONS LE MÊME SEIGNEUR. NOUS AVONS RÉUSSI À NOUS INFILTRER CHEZ LUI AFIN DE TENTER D’ÉLUCIDER LE MYSTÈRE DE SA DISPARITION ET AVONS TROUVÉ VOTRE MESSAGE SUR SON ORDINATEUR.
Frank pressa la clé d’envoi. Chance émit alors l’idée qu’ils utilisent aussi un nom mythique, afin que ce Galahad sache que les messages qu’ils lui enverraient à partir de maintenant seraient bien les leurs. Karen proposa Merlin et ils acceptèrent avec enthousiasme. Une réponse de Galahad surgit à l’écran.
COMMENT PUIS-JE ÊTRE CERTAIN QUE VOUS N’ÊTES PAS DES VOLEURS ? Frank lui transmit sa réplique. NOUS SOMMES SES ÉTUDIANTS DE PHILOSOPHIE ET IL NOUS MANQUE BEAUCOUP. NOUS SAVONS QU’IL A ÉTÉ ENLEVÉ AVEC SA FEMME ET NOUS SOMMES PRÊTS À TOUT POUR LES DÉLIVRER. La réponse de Chris apparut presque instantanément. COMBIEN ÊTES-VOUS ? Et Frank de répliquer : NOUS SOMMES HABITUELLEMENT SEPT. JE VOUS EN PRIE, APPELEZ-NOUS MERLIN.
ENTENDU, VÉNÉRABLE DEVIN. JE VOUS FERAI CONNAÎTRE L’ENDROIT EXACT OÙ NOTRE ROI EST DÉTENU DÈS QUE LE MAGICIEN ME L’AURA RÉVÉLÉ. FIN DU MESSAGE.
— Et que ferons-nous lorsque nous le saurons ? s’enquit Julie, agitée.
— Nous en informerons l’inspecteur Wilton, conseilla Marco.
— Deux ou trois d’entre nous devraient quand même y aller, signala Chance.
— Mais ce sorcier a sans doute des armes, craignit Katy.
— J’irai quand même à sa rescousse, déclara Marco.
— Moi, en tout cas, je ne peux pas quitter Little Rock à cause des ordres du juge, déplora Karen.
— Moi, je peux y aller, affirma Frank.
— Je ne peux pas quitter mon emploi au dépanneur, soupira Julie. Si je pars même quelques jours, je serai congédiée et j’ai besoin de cet argent pour mes études.
— Ma mère a vraiment besoin de moi. Il faut que je garde mes frères pendant qu’elle travaille, indiqua Katy.
— Moi, j’en suis, décida Chance.
— Je pense qu’à trois, on pourra le retrouver et informer la police locale du lieu où il est détenu, les encouragea Marco. Mais il faudra d’abord nous rendre à Houston.
— Je m’en occupe, offrit Frank.
* *
*
Au Texas, les militaires continuaient de surveiller les progrès de Terra, mais les formules à l’écran demeuraient inchangées. Le capitaine Douglas, un homme pourtant sympathique, n’arrivait pas à établir une bonne relation avec l’astrophysicien. Dès que le militaire mettait les pieds dans la villa, Terra se cachait dans une autre pièce pour éviter de lui parler. Douglas s’entendait bien avec Amy, mais ce n’était pas elle l’experte en propulsion.
Debout devant les nombreux écrans de la salle d’observation, dans la maison du jardinier, le capitaine cherchait une nouvelle stratégie qui inciterait le Hollandais à se mettre au travail, car le général Howell exigeait des résultats rapides.
— Permission de parler librement, capitaine ? sollicita le sergent Keaton.
— Permission accordée, répondit l’officier.
— La raison pour laquelle monsieur Wilder ne s’intéresse pas à ses recherches c’est qu’il est trop préoccupé par ses jambes. Je pense que si un spécialiste l’aidait à en reprendre plus rapidement la maîtrise, il se remettrait au travail.
Le capitaine le remercia : cette suggestion était effectivement pleine de bon sens. Il communiqua avec le général Howell et embaucha un physiothérapeute qui avait soigné Terra Wilder à l’hôpital militaire quelques années plus tôt. On le fit conduire à la villa dès le lendemain. Douglas l’y laissa entrer seul pour que sa présence n’indispose pas le savant.
Chuck Berman était un homme musclé, dans la trentaine, qui ressemblait davantage à un instructeur d’aérobie qu’à un technicien de la santé. D’origine Scandinave, il avait les cheveux platine, qu’il portait très courts, et des yeux bleus étincelants. Amy fut plutôt surprise de le voir apparaître à la porte du salon, surtout que ce n’était pas un militaire. Elle aperçut alors le sourire amusé sur le visage de Terra.
— Chuck ? Mais qu’est-ce que tu fais ici ? s’égaya le Hollandais.
— Un certain capitaine Douglas m’a dit que tu avais besoin d’exercice, alors me voilà. Qui est cette jolie femme ? Ton infirmière particulière ?
— Non, s’empressa de rectifier Terra. Amy est ma nouvelle épouse.
Chuck donna une vigoureuse poignée de main à Amy. Il se présenta comme ayant été le seul des physiothérapeutes de Terra à avoir survécu à deux années d’insultes à Houston.
— Sommes-nous toujours à Houston ? voulut savoir Amy.
— Mais non, vous êtes à Galveston. Le capitaine m’a dit que vous étiez sous la protection du gouvernement, mais il ne m’a pas dit pourquoi.
— Ce sont ses travaux qu’ils tentent de protéger, lui apprit Amy.
— J’aurais dû m’en douter, s’amusa Chuck en prenant place dans un fauteuil. Votre mari est bourré de talent, malgré son mauvais caractère. Quand j’ai travaillé sur ses jambes, il y a quelques années, il m’a insulté, frappé et il a même menacé de me tuer.
Amy posa sur son époux un regard plein de doute, mais Terra ne se défendit pas. Il se contentait de fixer Chuck en espérant qu’il se taise.
— À l’hôpital, nous ne l’appelions pas Terra, mais Terreur, poursuivit Chuck. Je suis certain qu’il a détruit la carrière de plusieurs jeunes médecins qui n’avaient pas mon endurance.
— Quoi ? s’étonna Amy.
— Mais non ! protesta Terra. J’ai seulement fait renvoyer ceux qui étaient des imbéciles !
Amy allait vraiment de surprise en surprise. Cet homme n’était pas seulement un merveilleux professeur de philosophie et un mari attentif, mais aussi un bourreau pour ses médecins et un brillant savant dont les recherches étaient cruciales pour la conquête de l’espace.
— Comment ont-ils réussi à greffer de véritables os dans tes jambes ? demanda Chuck, intrigué. À moins que ce soit de l’information secrète, évidemment.
— Pas du tout, affirma Terra. C’est un mystère même pour l’armée.
— As-tu subi une opération ailleurs qu’à leurs installations ?
— C’est arrivé à l’hôpital militaire et c’est Sarah qui en est responsable.
Chuck perdit son sourire et devint très inquiet. Il se rappelait les cauchemars qui avaient grugé l’énergie de son patient pendant sa dernière année de traitement. Pourquoi recommençait-il à parler de Sarah maintenant qu’il avait une nouvelle épouse ?
— Tu n’es pas obligé de me croire, Chuck, mais c’est la vérité. Tout ce que je te demande, c’est de m’aider une fois de plus à marcher.
— Tu sais bien que je vais faire l’impossible, mais je pense que tu devrais recommencer à voir le psychiatre, mon ami.
— Remets-moi d’abord sur pied, ensuite, j’y penserai.
Chuck accepta le défi. Il se mit à exercer vigoureusement les articulations de Terra malgré ses cris, ses larmes et ses grincements de dents. Lorsque Amy mit son époux au lit le premier soir, il était épuisé et meurtri, mais content de ses progrès. Elle lui embrassa l’oreille pour tenter de l’intéresser à un autre genre d’exercice, mais il refusa ses avances en déclarant qu’il refusait de lui faire l’amour devant les écrans de surveillance. Amy se couvrit aussitôt et exigea de savoir où se trouvaient les caméras.
Terra pointa un petit appareil, juste au-dessus de la porte de la chambre. Insultée, Amy enfila sa robe de nuit. Elle tira la chaise de la coiffeuse jusqu’à la porte, y grimpa et arracha le dispositif avec tous ses fils. Elle l’enferma dans un tiroir et pressa Terra de lui dire s’il y en avait d’autres. Comme il faisait signe que non, elle sauta dans le lit et exigea toute son attention.
— Et c’est moi qu’ils appelaient « terreur », plaisanta-t-il devant la détermination de sa femme.
— Tais-toi et embrasse-moi.
Le lendemain matin, Chuck Berman organisa une séance de thérapie dans la piscine. Amy demeura en retrait, sur une chaise longue, à les observer sans intervenir. Le capitaine Douglas sortit de la maison et se dirigea vers eux.
— Où sont les caméras de la chambre et de la salle de bain ? voulut-il savoir.
— Elles sont dans la poubelle de la cuisine, maugréa Amy. Et si vous essayez d’en installer d’autres, elles subiront le même sort. Nous avons besoin d’intimité, capitaine. Ce que nous faisons dans ces deux pièces ne vous regarde pas.
Le militaire ne souhaitait pas se quereller avec elle, mais si le général ordonnait que ces caméras soient remises en place, il serait obligé d’obéir. Il s’approcha de Terra. Chuck continuait de lui étirer les jambes en lui arrachant des grimaces de douleur.
— Comment allez-vous ce matin, docteur Wilder ? osa l’officier.
Terra ne se tourna même pas vers lui. Chuck fronça les sourcils devant cette manifestation d’hostilité.
— Nous aimerions que vous passiez plus de temps à l’ordinateur, insinua le capitaine.
Terra lui opposait toujours un mur de silence. Le capitaine attendit quelques minutes, puis, voyant qu’il n’obtenait aucun résultat, il tourna les talons.
— Cet homme est ton gardien, Terra, l’avertit Chuck. Tu devrais être plus conciliant.
— Je sais très bien que l’armée ne me laissera plus jamais repartir. Je n’ai certes pas l’intention de leur manger dans la main, en plus !
— Si tu es coincé, essaie au moins de te rendre la vie plus agréable.
— Tu ne sais pas de quoi tu parles, alors mêle-toi de tes affaires, rétorqua Terra en tentant de sortir de la piscine.
Chuck le ramena en position assise sur la première marche. Terra le brûla du regard, mais le physiothérapeute avait déjà goûté à la fureur du Hollandais dans le passé. Il n’avait pas peur de lui. Il poursuivit ses manipulations, s’attendant à ce qu’il lui envoie son pied au visage. Terra n’en fit rien. « Intéressant », pensa Amy en observant la scène. Chuck avait un sacré cran, car elle-même n’aurait pas insisté devant la mine orageuse de son époux.